Il ne pleuvait pas à Abidjan. Mais la température était lourde ce samedi 9 aout 2025 avec la marche du Front uni de l’opposition contre les velléités de confiscation du pouvoir par le président Alassane Dramane Ouattara au pouvoir depuis 2010. De l’autre côté de la frontière, beaucoup ne peuvent s’empêcher de voir des similitudes avec le cas malien où la jonction des oppositions arc-en-ciel au président IBK drainait aussi des foules compactes en juin-juillet-août 2020. Mais s’agit-il du même contexte ?
Il y a 5 ans, ici, sur le Boulevard, ‘‘peuple’’ conduit du bout du nez par le Mouvement du 5 juin – Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) exigeait la démission d’IBK et de son régime. Le Mali faisait face à une justice institutionnelle, et à une crise politique majeure née d’une crise post-électorale et institutionnelle dans un contexte de guerre qui a fini par aboutir à un coup d’État militaire. Personne ne souhaite pareil dénouement pour le peuple frère de la Côte d’Ivoire.
Organisée par le Parti des peuples africains PPA-CI de Laurent Gbagbo et le Parti démocratique PDCI de Tidjane Thiam, avec le soutien d’autres partis comme le FPI de Pascal Affi N’Guessan, la grande mobilisation de ce samedi était autorisée après le report du 2 août. Elle a rassemblé des milliers de militants dès l’aube dans Yopougon – de Saguidiba à la place Ficgayo – dans une ambiance à la fois festive et combative.
Contrairement aux contestataires du M5-RFP, les opposants ivoiriens ne cherchaient pas le départ de PRADO, mais refusent un quatrième mandat à Alassane Ouattara et demandent d’élections présidentielles inclusives, notamment la réinscription sur les listes électorales de figures de l’opposition exclues par le régime.
En Côte d’Ivoire, l’opposition a fédéré une marche largement symbolique, pacifique et largement visible, en amont de l’élection, pour défendre l’inclusion démocratique. Tandis que chez nous, la mobilisation des contestataires du M5-RFP visait directement à renverser le régime en place, à travers une désobéissance violente, dans un climat beaucoup plus tendu. La marche ivoirienne s’est déroulée dans un cadre autorisé et en accord avec les autorités. Elle proposait un agenda politique précis (inclusion électorale). Alors qu’il y a 5 ans à Bamako, l’opposition hétéroclite contestait directement les institutions, percevant un blocage total du système, ce qui a favorisé l’option putschiste.
Chez les autorités morales ivoiriennes, Laurent Gbagbo et Tidiane Thiam, la mobilisation de ce samedi 9 août 2025 reposait sur une union politique visible, dans l’esprit d’un dépassement des divisions partisanes. Au Mali, l’émotion populaire et la colère (institutionnelle, sécuritaire) ont joué un rôle central dans le basculement politique soudain qui a emporté IBK et le système démocratique.
Le M5-RFP et la transition forcée
Les mobilisations massives de juillet-août 2020 ont accéléré l’effondrement politique d’IBK. De manière candide, le M5-RFP, en occupant le Boulevard de l’Indépendance, a démontré un rapport de force populaire qui a ouvert la voie à l’armée. En effet, trois jours après les derniers grands rassemblements, le 18 août 2020, des militaires renversent le président. La transition qui s’ensuit (dirigée d’abord par le CNSP au début) sera toutefois monopolisée par les militaires, marginalisant progressivement le M5-RFP dans la gestion du pouvoir, avant de le dégommer et de le discréditer totalement.
Contrairement à la Côte d’Ivoire de PRADO d’aujourd’hui, chez nous en 2020, il y avait une faille institutionnelle : le blocage de la Cour constitutionnelle suite à la contestation de la légitimité des élections a miné l’ordre démocratique. Au même moment, l’influence des forces sociales a beaucoup trop pesé sur la situation : les religieux, les syndicats et les leaders de la société civile ont pu se constituer en acteurs politiques centraux, à l’instar de l’autorité morale aujourd’hui en fuite comme beaucoup de leaders ayant œuvré à faire tomber IBK. Pour cause ? En août 2020, le risque structurel dans notre pays était l’absence de garde-fou pour empêcher une récupération militaire d’un mouvement civil.
Le front commun et la pression démocratique
La marche de ce samedi 9 août 2025 s’inscrit dans un calendrier électoral clair : présidentielle prévue en octobre. L’opposition unie (PPA-CI + PDCI + alliés) utilise la rue comme levier de pression préventive pour forcer le gouvernement à inclure tous les candidats, notamment ceux écartés des listes. La marche était autorisée et encadrée, ce qui a renforcé sa légitimité et limité les risques de dérive violente. Le succès en termes de participation peut influencer la Commission électorale et accroître le poids politique du Front commun à la table des négociations.
Institutions plus résilientes qu’au Mali ? En Côte d’Ivoire, malgré les tensions, les manifestations sont intégrées dans un cadre légal et négocié. L’opposition est structurée et composée de leaders démocrates avec de longs parcours comme le vieux Gbagbo, Affi N’Guessan ou Thiam, capables de coordonner une mobilisation pacifique. Le seul défi qui leur reste est d’éviter que la rue ne soit un simple baromètre symbolique sans effet sur les décisions du pouvoir.
Bien que les deux mobilisations partagent une dynamique d’opposition structurée et populaire, celles-ci divergent profondément par leur contexte, leurs objectifs et leur déroulé : l’une est une pression démocratique organisée, l’autre a constitué une contestation radicale ayant mené à un changement de régime. Pour quel résultat ?
En Côte d’Ivoire, on observe une stratégie de transition par la négociation, où la rue sert d’amplificateur pour renforcer le poids politique dans les institutions. Tandis qu’au Mali, la mobilisation fut une stratégie de transition par rupture, la rue ayant servi de catalyseur à un renversement d’autorité, mais sans garantie que les revendications civiles soient ensuite intégrées.
La mobilisation ivoirienne de 2025, si elle reste pacifique et cohérente, pourrait contribuer à une transition électorale encadrée, à condition que le régime de PRADO cède sur certaines revendications. Le Mali en 2020 illustre, à l’inverse, qu’une mobilisation sans issue institutionnelle solide peut se transformer en changement de régime brutal, avec le risque que les aspirations initiales soient diluées dans un processus dominé par des acteurs extérieurs au mouvement démocratique.
ParEl Hadj Sambi Touré