Notre pays a procédé, ce mardi 12 août 2025, au lancement de son Plan National de Réponse à l’insécurité alimentaire (PNR 2025) sous la haute présidence du président de la transition, le Général d’Armée Assimi GOÏTA, et en présence du Premier ministre, de plusieurs membres du gouvernement et du ministre-commissaire à la sécurité alimentaire. Pour un coût estimé de la mise en œuvre du PNR 2025 s’élevant à 462 milliards de FCFA, l’État souverain du Mali prévoit de contribuer à hauteur de 12,1 milliards de FCFA, dans lesquels 400 millions sont généreusement offerts par l’UEMOA. Les partenaires techniques et financiers (PTF) sont sollicités Fissabilillah à hauteur de 165,3 milliards de FCFA. Le déficit non financé s’élève à (12,1 + 165,3) = 284,6 milliards de FCFA, soit 61,6 % du budget total.
L’asymétrie financière dans le PNR ne s’arrête pas là. Les données clés du programme révèlent une disparité scandaleuse entre la contribution de l’État et celle attendue des PTF. En effet, la contribution de l’État (12,1 milliards de FCFA) représente seulement 7,32 % de la contribution des PTF (165,3 milliards de FCFA). Autrement dit, les PTF financent environ 13,6 fois plus que l’État souverain du Mali.
En pourcentage du budget total, les PTF couvrent 35,78 % contre 2,62 % pour l’État, soit un ratio de 13,65% en faveur des PTF. Pour ce qui est du déficit non financé (61,6 %), il est 23,5 fois plus élevé que la contribution de l’État et 1,72 fois plus élevé que celle des PTF, ce qui accentue l’asymétrie globale.
Cette asymétrie financière, intenable à tous points de vue au regard de l’article 34 de notre Constitution, met en lumière plusieurs incongruités. Il y a d’abord un risque inévitable de dépendance aux partenaires externes.
La faible contribution de l’État (2,62 %) reflète une dépendance massive envers les PTF pour financer le PNR 2025. En dépit de l’étroitesse des ressources nationales par des contraintes économiques, des priorités concurrentes (comme la défense et la sécurité) et des défis structurels, nous devrions faire un effort pour inverser la tendance en affinant la capacité de l’Etat.
Car la contribution de l’État, bien que significative en valeur absolue (12,1 milliards de FCFA), est marginale par rapport aux besoins totaux.
Par ailleurs, l’énorme déficit de 61,6 % (284,6 milliards de FCFA) montre que même avec la contribution des PTF, plus de la moitié du budget reste non financé, ce qui constitue une contrainte majeure pour la mise en œuvre du plan qui ne semble pas tenir la ligne.
Les partenaires (notamment l’Union européenne et d’autres bailleurs) jouent un rôle central, mais leur contribution, bien que substantielle, ne comble pas le déficit, ce qui pourrait limiter l’impact du PNR sur les 4,7 millions de Maliens ciblées.
Comme on le voit, l’ambitieux plan est simplement irréalisable. Avec 61,6 % du budget non financé, le PNR 2025 risque de ne pas atteindre ses objectifs, notamment la distribution de 18 960 tonnes de céréales ou le soutien aux 4,7 millions de personnes ciblées.
L’asymétrie financière de ce mauvaise Plan met à nu notre dépendance chronique envers l’aide internationale pour répondre aux crises alimentaires, ce qui soulève non pas seulement des interpellations, mais aussi des défis en termes de souveraineté et de durabilité. Pour cause ?
En sollicitant les partenaires pour une part disproportionnée du financement, ces derniers peuvent trainer les pattes en laissant poiroter dans notre souveraineté non financée ou nous imposer des conditionnalités humiliantes pour avoir leur soutien. Enfin, si le déficit global du Plan du ministre Redouwane n’est pas comblé, certaines régions ou populations (notamment dans les zones enclavées ou touchées par l’insécurité) pourraient être sous-priorisées, exacerbant les vulnérabilités.
Pour appeler le chat par son nom, le PNR 2025 est une initiative louable pour son approche immédiate face à une crise alimentaire persistante. Il a permis, dans ses éditions précédentes, de réduire les impacts sur les ménages vulnérables et de stabiliser partiellement les marchés. Cependant, tiŋe fo nteri ye, a makan ka tiriya sa, le Plan Redouwane pèche par le financement inégal, la cohérence avec l’option souverainiste de notre pays, et l’orientation vers des solutions palliatives plutôt que structurelles.
Le Mali, avec un budget national de plusieurs milliers de milliards FCFA, ne devrait pas allouer une part aussi faible (moins de 0,5 % du budget global estimé pour 2025) à un enjeu vital comme la sécurité alimentaire, tout en dépendant lourdement des aides extérieures. Cela soulève des questions d’efficacité et de durabilité – les 12 milliards couvrent essentiellement des distributions d’urgence, mais ne résolvent pas les déficits structurels. Comparé à nos voisins comme le Burkina Faso, qui investit 120 milliards FCFA dans un programme quinquennal pour l’autosuffisance (incluant agriculture climato-intelligente), ou le Sénégal avec 130 milliards pour sa campagne agricole 2025, notre pays semble sous-investir le Dunkafa. Si rien n’est fait pour renverser la trajectoire, cette “portion congrue” allouée à la sécurité alimentaire risque de perpétuer un cycle de dépendance, où les partenaires continueront de dicter directement ou indirectement les priorités via leurs financements conditionnels.
Nous ne pouvons proclamer urbi et orbi notre souveraineté avec de tels plans en décalage avec la réalité.
Le gouvernement de transition martèle depuis 2021 sa quête de souveraineté, y compris alimentaire, en rejetant les influences extérieures et en valorisant les ressources nationales.
Pourtant, le PNR repose sur des aides internationales (PAM, ONU, BOAD), ce qui contredit ce narratif. Proclamer la souveraineté “urbi et orbi” (à la ville et au monde) tout en mendiant des contributions massives aux partenaires crée un paradoxe : comment affirmer l’indépendance quand plus de 150 milliards indispensables pour nourrir les Maliens dans la détresse alimentaire viennent de l’extérieur. Cela renforce l’image d’un Mali fragile, dépendant des flux humanitaires plutôt que d’une stratégie endogène conduite souverainement par nos autorités. Or, la souveraineté économique passe par une réduction de la dépendance à l’égard de l’extérieur, pas par des discours.
Comment s’en sortir ? La vieille sagesse dit qu’au de donner toujours du poisson à quelqu’un, il faut l’apprendre à pêcher. Notre suggestion de profane serait d’investir dans le matériel agricole au lieu de distribuer des centaines de milliards en céréales chaque année. Or, le PNR, comme ses prédécesseurs, privilégie les solutions court-termistes avec des distributions gratuites ou subventionnées qui coûtent annuellement des milliards (plus de 12 milliards pour 2025 seul), mais qui ne traitent pas les causes racines comme la faible productivité (rendements agricoles inférieurs à 1 tonne/ha en moyenne pour les céréales), le manque de mécanisation et les effets du changement climatique.
Pourquoi ne pas réorienter ces fonds vers des investissements durables ? Notre pays bénéficie d’un potentiel énorme (Office du Niger, bassins du Bani, le système Faguibine et Sélingué), mais seulement 10 % des terres arables sont exploitées.
Investir dans des tracteurs, moissonneuses et systèmes d’irrigation pourrait multiplier les rendements par 3-5, comme l’a démontré la phase I du PDI-BS (36 500 ha aménagés, +61 000 tonnes de riz produites). Les distributions annuelles (estimées à 50-100 milliards cumulés depuis 2021) maintiennent une dépendance, avec des pertes post-récolte de 20-30 %.
À l’inverse, investir 50 milliards en équipement pourrait générer des emplois (3 600 créés par le PDI-BS) et réduire les importations (Notre pays importe 450 000 tonnes de maïs/an). Cela s’inscrirait dans une agriculture climato-intelligente, comme au Burkina Faso.
Nous pensons, très modestement, que cette approche palliative du PNR risque de créer une “culture de l’assistanat”, ignorant les leçons d’autres pays africains (Éthiopie, Rwanda) qui ont priorisé la mécanisation pour atteindre l’autosuffisance. Sans cela, nous pourrions rester vulnérables aux chocs externes, contredisant notre rhétorique de souveraineté.
Le PNR 2025 est un pansement nécessaire sur une plaie ouverte, offrant un soulagement immédiat à des millions de Maliens, mais il manque d’ambition transformative.
La modeste contribution de l’État face à une dépendance trop grande aux partenaires écorne et érode notre narratif souverainiste, et les distributions récurrentes perpétuent un cycle vicieux plutôt que de bâtir une résilience via des investissements en matériel agricole. Pour “apprendre à pêcher”, notre pays devrait réallouer des fonds vers la mécanisation, l’irrigation et la formation, en s’inspirant de succès régionaux. Cela exigerait une volonté politique forte, une meilleure allocation budgétaire et une réduction progressive des aides extérieures.
EL HADJ SAMBI TOURÉ