Le jeudi 22 septembre 1960 n’était pas seulement une proclamation d’indépendance. C’était l’irruption d’une volonté populaire, forgée dans les épreuves de la colonisation et nourrie par l’aspiration séculaire à la liberté et à la dignité. Depuis, notre pays n’a cessé de marcher, parfois dans la tempête et la douleur, souvent dans l’espérance, toujours dans la fidélité à son destin. 65 ans plus tard, alors que nous célébrons cet anniversaire, le devoir de mémoire s’impose : rendre hommage à un peuple de résistants, à une nation de bâtisseurs, à une patrie qui, malgré les tempêtes, demeure toujours debout, et jamais ne courbera l’échine.
L’indépendance de notre pays n’a pas été une sinécure. Elle fut conquise par le courage politique et la détermination d’hommes et de femmes qui ont cru en la capacité de notre peuple à décider par lui-même. 22 septembre 1960, Modibo Keïta et ses compagnons ouvrent une nouvelle ère, marquée par la quête d’un État indépendant, socialiste et solidaire, enraciné dans les valeurs africaines. C’était l’aube d’une aventure nationale qui allait connaître des éclats, mais aussi des fractures.
Les premières années furent marquées par l’enthousiasme et les réformes audacieuses : industrialisation, éducation, souveraineté monétaire. Mais très vite, les contraintes internationales, les erreurs de gestion et les résistances internes étouffèrent l’élan initial. Le mardi 19 novembre 1968, la chute de l’expérience du socialisme, plongea le pays dans une longue gouvernance militaire, marquée par la répression politique, la crise économique et les sécheresses meurtrières. Le peuple du Mali apprit alors la patience dans la douleur, mais aussi l’organisation dans la résistance. Le mardi 26 mars 1991 fut une seconde naissance. La IIIe République naquit dans l’enthousiasme : le multipartisme, la liberté d’expression, l’ouverture politique. Mais très vite, les illusions se heurtèrent aux réalités : la corruption, le clientélisme, les fragilités institutionnelles.
L’année 2012 reste l’une des plus sombres pages de l’histoire de notre nation depuis Tondibi : l’effondrement de l’État, l’occupation des deux tiers du territoire par des groupes djihadistes et séparatistes, l’humiliation d’une armée déboussolée. Beaucoup pensaient que le Mali était perdu. Mais c’était sans compter sur la résilience d’un peuple. La foi inébranlable en la survie de l’État et de la Nation a permis au pays de tenir malgré la tempête. Ce fut un moment de vérité : le Mali n’était pas mort.
L’effondrement de la gouvernance démocratique, minée par la corruption et l’impuissance, provoqua les changements de régime successifs de 2020 et 2021. Ces ruptures traduisent la lassitude du peuple face à des élites incapables d’incarner l’intérêt général. La transition militaire s’imposa comme une alternative et une promesse de refondation. Avec des choix audacieux : la rupture avec certains partenaires traditionnels, la recherche de nouvelles alliances stratégiques, la lutte armée contre le terrorisme, le projet de nouvelle Constitution. La reconquête de Kidal le 14 novembre 2023 par les FAMa devint un symbole fort : l’unité nationale ne serait plus négociable.
65 ans après son accession à l’indépendance, le Mali demeure debout, cabossé par l’histoire, mais jamais brisé. De la sécheresse des années 1970 aux guerres récentes, des coups d’État successifs aux embargos étouffants, les tempêtes n’ont pas manqué. Mais chaque fois, le peuple malien a résisté, comme une digue humaine face aux flots.
En dépit du chômage élevé et de l’exil forcé de nombreuses personnes, la jeunesse demeure ce moteur d’avenir : créative, inventive, animée par l’énergie d’une génération qui ne s’en remet pas. Les femmes, elles, sont l’armature invisible et indestructible de cette résilience. Dans les champs, les marchés, les foyers, elles maintiennent la vie et portent la nation sur leurs épaules.
Et au-delà des blessures, une richesse demeure inaltérable : la culture. De la kora qui résonne comme une mémoire vivante aux bogolans qui racontent l’identité textile du pays, de Tombouctou la savante à Bamako la bouillonnante, le Mali continue de rayonner. La culture n’est pas seulement un héritage, elle est une arme de soft power, un rempart contre l’oubli et une affirmation de dignité.
Le bilan est contrasté : espoirs trahis, mais fierté intacte ; crises répétées, mais État debout. Le Mali, blessé, n’a jamais courbé l’échine.
Rendre hommage à 65 ans d’indépendance n’est pas se complaire dans la nostalgie. C’est prendre acte d’un passé difficile pour tracer une promesse d’avenir. Car honorer ces luttes et ces sacrifices exige des engagements clairs.
Il faut d’abord reconstruire une gouvernance intègre. Que la politique cesse d’être prédation pour redevenir service. La corruption, qui est considérée comme un cancer de l’État, ne peut plus être tolérée, continue de faire rage. Ensuite, réconcilier la nation avec elle-même : Nord et Sud, générations et élites, doivent apprendre à se retrouver autour d’un projet commun.
Assurer la défense et la sécurité demeure une priorité vitale. Une armée moderne, disciplinée et patriote, est la condition d’une paix durable. Mais la paix ne tiendra pas sans investissement massif dans la jeunesse : éducation, emploi, formation, ouverture au monde. Enfin, la culture, encore et toujours, doit être valorisée comme socle d’identité et tremplin de rayonnement.
L’avenir de notre pays n’est écrit nulle part d’avance. Mais une vérité s’impose : aucune tempête n’a pu terrasser ce peuple. Et aucune ne le pourra, tant que subsistera cette force silencieuse faite de courage, de dignité et d’espérance.
En ce 65e anniversaire de l’indépendance, nous rendons hommage à une nation qui n’a jamais cessé de lutter pour son droit à exister. Le Mali est un pays blessé, mais jamais vaincu ; un peuple meurtri, mais jamais soumis. Notre hommage est un appel à la confiance : confiance en notre histoire, en notre jeunesse, en notre culture, en notre avenir. Car, si 65 ans ont été une épreuve, ils ont aussi été une leçon : le Mali est une nation debout, et debout, elle restera.
El Hadj Sambi Touré