Alors que 77 pays ont quitté l’hémicycle des Nations unies pour boycotter le discours du Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, contre toute attente notre pays qui a rompu ses relations diplomatiques avec Israël en octobre 1973, à la suite de la guerre du Kippour a fait le choix, aux côtés du Maroc, de rester assis. Un geste apparemment anodin, mais lourd de sens, tant il tranche avec l’orientation traditionnelle de notre pays sahélien et ses récentes proximités diplomatiques. En effet, depuis cette date, les relations diplomatiques n’ont jamais été officiellement rétablies entre le Mali et l’Israël, même si des contacts informels et discrets ont été signalés à plusieurs reprises (notamment dans les années 1990 et 2000 autour de la coopération agricole et sécuritaire).
Lorsque Benjamin Nétanyahou est monté à la tribune des Nations unies, 77 délégations ont quitté la salle en signe de boycott. Dans ce silence orchestré, deux sièges sont restés occupés : celui du Maroc, allié stratégique d’Israël au Maghreb, et celui du Mali, dont la présence a étonné plus d’un observateur. Car Bamako, traditionnellement proche du monde arabe et allié de l’AES avec le Burkina Faso et le Niger qui, eux, ont boycotté, a choisi une posture différente. Un geste calculé, pas un hasard diplomatique.
Le Mali sous la transition s’affiche depuis trois ans comme un État qui ne se laisse dicter aucune conduite par les blocs géopolitiques établis. Après avoir rompu avec Paris, bousculé la CEDEAO et revendiqué une diplomatie « décomplexée », notre pays applique la même logique à l’ONU. Il ne s’agit pas de suivre le troupeau, même lorsque la majorité s’accorde sur une position. Rester dans la salle pendant le discours de Nétanyahou, c’est rappeler que le Mali agit en fonction de ses propres intérêts, pas par mimétisme.
Derrière l’affichage souverainiste, le pragmatisme domine. Dans un contexte de crise sécuritaire chronique, l’Israël peut représenter un partenaire de choix. Ses technologies militaires, son expertise en renseignement et son expérience dans la lutte antiterroriste intéressent un pays où l’armée combat quotidiennement les groupes jihadistes. Officiellement, aucun accord n’existe. Mais en ne boycottant pas, nous envoyons un signal subtil : la porte n’est pas fermée.
Un pragmatisme face aux nouveaux équilibres
La décision de notre pays s’inscrit aussi dans une rivalité régionale. En froid avec Alger, il ne nous est pas futile de chercher des appuis alternatifs. Or, Rabat est le principal partenaire d’Israël en Afrique du Nord. Ne pas tourner le dos à Nétanyahou, c’est donc, indirectement, se placer dans le sillage de Rabat et renforcer une convergence politique qui isole davantage l’Algérie. Une diplomatie de « triangulation » qui permet à notre pays de peser dans son bras de fer avec son voisin devenu inamical.
Notre pays sous le leadership du Chef de l’État, le Général Assimi GOÏTA, qui a multiplié les alliances ces dernières années (Moscou, Pékin, Ankara, Téhéran) sait qu’une fermeture frontale vis-à-vis d’Israël et de ses alliés occidentaux pourrait compliquer certaines relations multilatérales, notamment dans les enceintes financières ou humanitaires. Aussi, le Mali d’Abdoulaye DIOP pourrait donc jouer sur tous les tableaux : afficher sa proximité avec ses nouveaux partenaires sans couper les ponts avec d’autres puissances capables d’offrir soutien, technologies ou relais diplomatiques.
Un geste calculé, pas un alignement
Toutefois, il serait excessif de voir dans cette décision une orientation pro-israélienne. Le Mali n’a ni reconnu Israël, ni officiellement exprimé une volonté de rapprochement. Mais son absence de boycott illustre une diplomatie devenue avant tout opportuniste et transactionnelle. Nous nous ménageons des marges de manœuvre, gardons toutes les portes ouvertes et envoyons des signaux codés. L’ennemi d’hier pourrait devenir l’allié de demain, si les circonstances l’exigent. Ça s’appelle pragmatisme diplomatique.
En choisissant de rester assis pendant que d’autres sortaient, le Mali a rappelé qu’il entend jouer sa propre partition, à sa manière. Dans un monde où les alliances se recomposent rapidement, ce petit geste à l’ONU prend la valeur d’un avertissement en renvoie le message que le Mali ne sera ni aligné, ni enfermé.
Loin des clivages binaires qui opposent les « pro » et les « anti », les « alliés » et les « adversaires », le pays entend se donner la liberté d’explorer chaque piste, chaque opportunité. Cette autonomie affichée traduit une volonté de rompre avec le suivisme des blocs et de s’affirmer comme acteur souverain dans un monde en recomposition.
La décision de notre pays prend aussi une dimension intra-sahélienne. Le Burkina Faso et le Niger, nos partenaires au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), ont choisi le boycott. En maintenant sa présence, le Mali révèle que l’AES ne parle pas d’une seule voix sur toutes les questions diplomatiques. L’unité militaire affichée à l’interne ne gomme pas les divergences de politique étrangère. La Transition montre ainsi qu’il se réserve le droit d’adopter une ligne singulière, même au prix d’un contraste visible avec ses alliés de l’AES.
Le pragmatisme stratégique comme boussole
Le non-boycott du Mali n’a rien d’un coup de cœur pour Israël, ni d’un désaveu de la cause palestinienne. C’est avant tout une leçon de réalisme diplomatique. Notre pays sait que, dans l’arène internationale actuelle, les alignements automatiques enferment plus qu’ils ne libèrent. En restant dans la salle lors du discours de Nétanyahou, le Mali a choisi de miser sur une valeur devenue rare : la liberté de manœuvre. Là où d’autres ont quitté la salle pour marquer une position politique, le Mali est resté, par principe, sans se laisser dicter sa conduite par des alliances régionales ou idéologiques.
Dans un contexte où les pôles de puissance se multiplient autour de Moscou, Pékin, Washington, Ankara, Téhéran, le piège serait de se retrouver enfermé dans un seul camp. Bamako, qui a déjà opéré un basculement vers Moscou et Pékin, sait que l’isolement diplomatique peut être un fardeau. Rester dans la salle, c’est donc conserver un espace de négociation avec un acteur influent et ses alliés. Une stratégie simple, mais efficace : garder ses options ouvertes vaut plus que les postures figées.
EL HADJ SAMBI TOURÉ