La chronologie des faits est implacable. Dans la nuit du 31 mars au premier avril 2025, alors qu’un drone malien s’apprêtait à neutraliser une importante base terroriste à Tinzawaten, l’aéronef de fabrication turque est abattu par l’armée algérienne qui revendique l’acte par voie de presse. Une semaine après, le pays d’Abdelmadjid Tebboune reçoit le ministre français des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot pour une relance de la relation bilatérale, après des mois de crise.
Le Sahel, ce carrefour stratégique où se croisent des intérêts géopolitiques qui n’ont guère à voir avec la réalité des peuples, semble plus que jamais être un terrain de jeu où la France, l’Algérie, et les États du Sahel eux-mêmes- le Mali, le Burkina Faso, et le Niger-mènent une danse étrange, complexe et, disons-le, plus hypocrite qu’un bal masqué. La danse des faux-semblants et des faux alliés.
Le dernier acte de cette tragédie géopolitique a été écrit dans la nuit du 31 mars au 1er avril 2025, un acte qui a vu un drone malien abattu par l’armée algérienne, un geste revendiqué sans ambages par Alger, tout en soulignant le caractère «illicite» de l’intervention malienne dans la région. Et pourtant, ce n’est pas la première fois que la frontière mouvante entre ces deux pays voisins semble être une zone de friction violente, mais cet incident prend une tournure encore plus intéressante lorsqu’on place la pièce suivante sur l’échiquier : la France.
Dans une chorégraphie diplomatique digne des plus grands experts en double-jeu, Paris, qui a déjà bien du mal à assumer ses errances et ses échecs au Sahel, choisit de se rapprocher d’Alger.
Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, atterrit en Algérie une semaine à peine après cet incident, comme si de rien n’était, pour relancer une relation bilatérale qui, jusqu’ici, semblait à l’agonie.
Pour ceux qui suivent les contours de la diplomatie internationale, il faut un certain talent pour faire semblant d’ignorer la provocation algérienne et occulter son soutien tacite aux terroristes maliens réfugiés dans la zone frontalière. Et c‘est là que les accointances franco-algériennes trouvent tout leur sens véritable.
La France est un parrain des terroristes maliens qui ont revêtu mille et une dénomination : rebelles Touaregs, séparatistes du Nord, autonomistes, indépendantistes maliens du Mnla au Fla, en passant par tous les groupes mal fameux connus peu ou prou Maa, Hcua, Cma, Csp, Ansardine, Aqmi, Mujao, Eigs, Gsim…
Mais au fond, de quoi s’agit-il réellement?
D’un véritable dialogue de sourds où chaque partie fait semblant de ne rien comprendre aux actions de l’autre, tout en s’arrangeant pour faire en sorte que l’armistice soit maintenu, mais à un prix. Ce qui est certain, c’est que la France, qui a pris l’habitude de jouer les médiateurs ou d’installer son influence au Sahel sous couvert de lutte contre le terrorisme, a ici plus d’une raison de sourire tout en ayant une dent contre les pays du Sahel.
La vérité géopolitique du moment, c’est que la France ne cesse de jouer la carte de la division et de l’hypocrisie en se rapprochant discrètement de l’Algérie, son éternel rival dans le Maghreb.
Ce jeu à deux vitesses trouve son acmé dans les fausses amours franco-marocaines d’un côté, et dans la volonté de maintenir une position favorable à l’Algérie-même au détriment de ses relations avec le Sahel.
Il n’est pas anodin que les relations entre l’Algérie et le Mali se soient tendues alors que Paris, bien qu’elle semble être à la croisée des chemins dans ses politiques en Afrique, continue de privilégier ses anciens alliés marocains tout en se félicitant de tout rapprochement avec Alger.
Une posture politiquement douteuse, qui érode de plus en plus la crédibilité de la France dans la région.
Quant aux pays du Sahel eux-mêmes, qu’en est-il vraiment ? Mali, Burkina Faso et Niger se trouvent dans une situation paradoxale.
D’un côté, ces pays se battent contre une menace terroriste de plus en plus complexe, mais de l’autre, ils se retrouvent coincés entre deux feux : d’un côté, l’Algérie, qui, en dépit des discours de solidarité, joue ses propres cartes, et de l’autre, la France, à qui ils ont tourné le dos et qui continue à jouer sur les frontières de la diplomatie en flattant les ambitions de ses alliés maghrébins.
Les dirigeants des trois pays sahéliens sont désormais dans une situation où ils ne peuvent plus se contenter d’être des figurants dans un jeu d’échecs diplomatique où ils sont les pions.
Le retrait progressif de la France, symbolisé par le départ de ses troupes et la fin de son engagement militaire, laisse un vide stratégique et une incertitude, que certains tentent de combler par une réorientation vers des alliances avec des acteurs comme la Russie ou la Chine, dont les intérêts au Sahel sont loin d’être désintéressés.
Mais pour l’instant, leur place sur la scène internationale semble souvent être réduite à une gestion d’urgence, alors que l’avenir de la région est conditionné par les décisions prises à Alger ou à Paris.
Pour les observateurs avertis, l’histoire du Sahel semble se transformer en un terrain de compétition de pouvoir, où les acteurs locaux, tout en se battant pour leur sécurité, deviennent des pions sur un échiquier stratégique plus grand que la simple lutte contre le terrorisme. Une compétition où la diplomatie ne sert qu’à cacher les faiblesses d’une stratégie géopolitique en panne de direction, à l’image de l’Algérie, entre deux stratégies opposées : d’un côté la construction d’un leadership régional, et de l’autre un rapprochement inattendu avec la France, qui semble donner des gages à son ennemi historique-le Maroc.
Si l’on doit tirer une conclusion de cette période de tensions et d’alliances éphémères, c’est que le Sahel n’a décidément pas besoin de nouveaux acteurs venant perturber une situation déjà bien complexe.
Ce qu’il lui faut, c’est une stabilité basée sur des accords durables, loin des intérêts à court terme. Mais, au fond, le Sahel ne semble être qu’une scène où les acteurs principaux se battent pour une position de domination, chacun avec ses alliés et ses ennemis, jouant des parties à haute tension, tout en ignorant le peuple qu’ils sont censés protéger.
Par Oussouf Diagola