A New York, dans l’enceinte solennelle des Nations unies, notre pays et l’Algérie ont offert au monde un spectacle diplomatique rare : celui d’une querelle frontale, sans détours, où les mots ont fusé comme des balles. Mais là où le Mali a choisi de frapper par la précision des faits et la gravité des accusations, Alger s’est réfugiée dans le registre des invectives et de l’insulte. Ce contraste dit tout : il ne s’agit pas d’un duel d’arguments, mais d’un choc entre la consistance et la vacuité.
Le Mali expose, l’Algérie explose
Le Premier ministre, le général de division Abdoulaye MAÏGA, s’est adressé le vendredi 26 septembre 2025 pour la troisième fois à la 80e Assemblée générale de l’ONU. Son discours fut offensif, incisif, presque martial. Trois griefs, trois charges, trois vérités jetées au visage d’Alger :
-L’attaque terroriste de Tinzawatène (24–25 juillet 2025), planifiée sur le territoire algérien et à deux pas de sa frontière, sans que la fameuse « championne de la lutte contre le terrorisme » n’ait rien vu ni entendu.
-La destruction d’un drone des FAMe (1er avril 2025) par l’armée algérienne, avec un détail qui ridiculise la version officielle algérienne : les débris se sont retrouvés côté malien, invalidant la thèse de la violation de l’espace aérien algérien.
-Le refus de compétence de la Cour internationale de justice (septembre 2025), qui s’apparente à la fuite d’un coupable redoutant d’être publiquement démasqué et déculotté.
Voilà des faits, sourcés, datés, circonstanciés. Et ce n’est pas un hasard ; notre pays a choisi la voie du droit international et du récit stratégique, adossant son indignation à une mémoire historique, celle du Mali qui a soutenu l’Algérie dans sa guerre de libération. Un rappel qui vaut accusation morale : le frère libéré hier est devenu aujourd’hui l’allié complaisant de ceux qui déstabilisent le Mali et le Sahel.
La réponse algérienne : une fuite dans l’injure
Et que répond l’Algérie ? Rien sur Tinzawatène. Rien sur le drone. Rien sur la CIJ. Rien sur le fond. Le ministre algérien des Affaires étrangères Ahmed ATTAF préfère dégainer une litanie d’injures : Abdoulaye MAÏGA serait un « soudard », un « poète raté », un « putschiste ». Ses discours, des « diatribes triviales ». Ses critiques, des « délires vulgaires ».
La grande diplomatie algérienne s’est résumée à des insultes comme ultime refuge. Quand un État choisit de transformer une plaidoirie en procès d’intention, d’ignorer les faits pour attaquer la personne, c’est qu’il a abdiqué le combat des idées. C’est qu’il n’a rien à opposer, sinon le mépris.
On pourrait sourire de ce verbiage si l’enjeu n’était pas tragique : il s’agit de terrorisme, de souveraineté violée, d’un drone abattu, d’une région ensanglantée. Mais Ahmed ATTAF préfère descendre dans la cour de récréation, distribuant des noms d’oiseaux comme on distribue des pierres. En politique, cela s’appelle une impasse argumentative.
La force des faits contre la faiblesse des injures
En vérité, l’Algérie se retrouve acculée. Elle n’a pas voulu répondre sur Tinzawatène, car toute explication risquerait de révéler des complicités embarrassantes. Elle ne veut pas s’expliquer sur le drone, parce que les débris retrouvés côté malien constituent une preuve matérielle qui l’accuse. Elle refuse la compétence de la CIJ, car elle sait qu’un tribunal impartial exposerait ses contradictions.
Alors, que reste-t-il ? La vieille technique de diversion : déplacer le débat sur le terrain moral. Accuser Bamako de mauvaise gouvernance, pointer la pauvreté et l’instabilité, jeter à la face des Maliens leurs propres plaies pour les disqualifier. Comme si les difficultés internes d’un pays invalidaient la réalité d’une agression extérieure.
Mais cette rhétorique ne trompe personne. Car enfin, quelle crédibilité pour un État qui se proclame champion de la lutte contre le terrorisme, tout en étant accusé d’en être l’exportateur ? Quelle autorité morale pour un pays qui refuse de répondre devant la justice internationale ? Et quel sens à tendre la main au peuple malien, tout en insultant publiquement ses dirigeants ?
Il faut le dire clairement que dans cette passe d’armes, c’est le Mali qui occupe le terrain du droit, et l’Algérie celui de la diversion et du folklore. Les faits contre les invectives. Les preuves contre les insultes. La précision contre le flou.
La posture malienne est stratégique : montrer à l’opinion africaine et internationale que notre pays ne craint pas le débat juridique. Qu’il ose aller devant la CIJ, qu’il argumente avec dates, lieux, éléments concrets. Le Mali se place en victime exigeant justice, face à un voisin arrogant qui fuit l’arène judiciaire. La posture algérienne, elle, est défensive, fébrile, presque hystérique. Le langage d’ATTAF révèle une nervosité : celle d’un diplomate qui sent le sol se dérober sous ses pieds. Car, à défaut de contre-arguments, il n’a que le mépris à offrir.
Un choc qui dépasse les mots
Cette passe d’armes à l’ONU n’est pas un simple échange de piques. Elle révèle un clivage profond, dont les répercussions pourraient redessiner l’équilibre régional.
D’abord, la sécurité régionale; lorsque notre pays accuse Alger de fermer les yeux sur des sanctuaires terroristes à sa frontière, la charge est lourde. Elle implique qu’un État censé être « champion africain de la lutte antiterroriste » joue en réalité un double jeu : tenir un discours officiel contre le terrorisme tout en tolérant, voire en exportant, ses acteurs. Avec cette duplicité algérienne, c’est non seulement le Mali qui est menacé, mais tout l’édifice sécuritaire sahélien.
Ensuite, la souveraineté aérienne ; la destruction du drone des FAMa par l’armée algérienne constitue, en soi, un acte d’hostilité. Or, Alger refuse d’en répondre devant la Cour internationale de justice. Ce refus n’est pas anodin parce qu’il sape la confiance dans le droit international et expose l’Algérie comme une puissance qui choisit l’arbitraire au détriment de la légalité, en somme un Etat voyou. À l’échelle africaine, c’est un précédent dangereux. En effet, si chacun s’autorise à abattre le matériel militaire d’un voisin puis à ignorer toute juridiction, c’est la loi de la jungle qui triomphe.
Enfin, la mémoire historique ; le Mali rappelle qu’il fut l’un des rares pays à soutenir activement l’Algérie dans sa guerre de libération. En retour, voir Alger accusée d’hostilité et de duplicité sonne comme une trahison. L’ingratitude d’un frère hier libéré, mais aujourd’hui complice de l’ennemi, pèse lourd dans l’imaginaire panafricaniste.
Au fond, ce bras de fer n’est pas seulement bilatéral. Il engage la crédibilité du Sahel, l’autorité morale de l’Afrique et la cohérence d’un continent qui se dit solidaire mais où certains États semblent oublier la mémoire et la loyauté.
Quand la diplomatie se change en théâtre
La sortie d’Ahmed ATTAF pourrait prêter à rire si elle n’était pas révélatrice d’une tragédie politique. Car en diplomatie, l’insulte est souvent le masque du vide. Lorsqu’un ministre se transforme en polémiste, lorsqu’il préfère traiter son homologue de « poète raté » plutôt que de répondre aux faits, c’est qu’il a déserté la fonction même de la diplomatie de défendre des positions par l’argument, et non par la grossièreté.
On pourra toujours dire que ces mots étaient destinés à flatter l’opinion publique algérienne, à ressouder un patriotisme de façade. Mais sur la scène internationale, le spectacle est désastreux : il expose Alger comme un État crispé, incapable de se défendre autrement que par des injures.
Il y a, dans cette passe d’armes, une ironie cruelle. Le Mali, souvent dépeint comme fragile, en guerre contre le terrorisme, se montre à l’ONU comme un acteur sûr de lui, campé sur ses arguments, confiant dans le droit. L’Algérie, perçue comme une puissance régionale, révèle au contraire son malaise : incapable d’assumer, incapable de convaincre, réduite à la caricature.
C’est peut-être cela, la vraie victoire de Bamako : transformer une faiblesse structurelle (son instabilité) en force diplomatique (son recours au droit), et exposer une faiblesse structurelle d’Alger (ses ambiguïtés régionales) par la nervosité de son langage.
Et maintenant ?
Le bras de fer entre Bamako et Alger ouvre deux scénarios inquiétants.
Le premier est celui d’une rupture durable, les relations entre nos deux pays, déjà fragilisées, pourraient basculer dans une hostilité ouverte. Chacun se retranche dans sa narration : le Mali en victime agressée qui choisit la voie du droit, l’Algérie en puissance offensée qui méprise, mais ne répond pas. Ce cercle vicieux enferme les deux capitales dans une logique de confrontation stérile, où la diplomatie devient impossible et où la méfiance se mue en doctrine.
Le second scénario est plus pernicieux encore : l’exploitation terroriste. Une frontière longue de 1 300 km, poreuse et mal contrôlée, entre deux voisins brouillés, devient un boulevard pour tous les trafics et infiltrations. Les groupes armés terroristes n’attendent que ce vide stratégique pour étendre leur marge de manœuvre, consolider leurs sanctuaires et accentuer la pression sur les populations civiles.
Pourtant, cette crise a un mérite, celui de mettre à nu les contradictions algériennes et la détermination malienne. L’opinion internationale n’est pas aveugle. Les faits avancés par notre pays sont précis ; le silence d’ATTAF sur ces faits est assourdissant. Dans le tribunal de la crédibilité, l’injure est un aveu. Et face au vacarme stérile d’Alger, notre pays s’impose, paradoxalement, comme la voix de la cohérence.
La vérité contre le vacarme
Une chose demeure certaine : en diplomatie comme en politique, l’insulte ne bâtit rien. Elle ne répare aucune fracture, ne dissipe aucun doute, n’apaise aucun conflit. Elle révèle au contraire une fébrilité, un malaise, une incapacité à affronter le réel. L’Algérie, en choisissant l’invective, s’est piégée dans une impasse qui la dessert sur la scène internationale. Car lorsqu’un ministre abandonne l’arme de l’argument pour celle du dénigrement, il signe implicitement sa propre faiblesse.
Face à cela, notre pays, en s’appuyant sur des faits précis et en osant saisir la Cour internationale de justice, a choisi la voie de la responsabilité. Il ne s’agit pas seulement de défendre sa souveraineté, mais de démontrer qu’au XXIe siècle, même un État fragilisé par le terrorisme peut exiger que le droit prévale sur l’arbitraire.
Ce duel dépasse donc deux voisins en brouille. Il met face à face deux visions de la diplomatie : l’une, fondée sur la vérité et le courage de l’assumer ; l’autre, prisonnière de la fuite en avant et du vacarme inutile. Et dans cette confrontation, ce n’est jamais celui qui hurle le plus fort qui l’emporte, mais celui qui tient solidement sur le socle des faits.
SIKOU BAH