Ce 26 septembre, à New York, tout comme le nôtre, le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a prononcé son discours devant l’Assemblée générale de l’ONU. Dans un geste d’une portée symbolique forte, 77 pays ont quitté la salle pour marquer leur rejet de la politique israélienne dans la bande de Gaza et affirmer leur solidarité avec le peuple palestinien. Notre pays, lui, qui n’était pas de la chorale, est resté assis. Calme, muet, immobile. Au plan diplomatique, ce silence retentit aujourd’hui plus fort que bien des paroles.

Il faut se souvenir : le Mali fut, dès les années 1960, parmi les premiers pays africains à reconnaître Israël et à ouvrir ses portes à une ambassade israélienne à Bamako. Cette ambassade a fonctionné tout au long des années 1960, jusqu’à la rupture officielle des relations le 5 janvier 1973, après la guerre du Kippour (octobre 1973), conformément à la décision de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et sous l’influence des pays arabes. Mais en 1973, lors de la guerre du Kippour, notre pays fit un choix clair : rompre avec Tel Aviv pour s’aligner sur la solidarité africaine et arabe. Cette rupture ne fut pas un simple geste diplomatique, mais une affirmation de valeurs : celle de défendre le droit des peuples opprimés à disposer d’eux-mêmes.
Depuis, le Mali n’a cessé de réaffirmer son attachement à la cause palestinienne. Il a soutenu l’Autorité palestinienne, accueilli une représentation diplomatique palestinienne, et s’est montré constant dans ses votes aux Nations unies. Cette constance était devenue une ligne de force de notre diplomatie. Alors, que s’est-il passé pour que ce vendredi 26 septembre, notre pays choisit de rester assis, quand 77 délégations prenaient la porte ?
Rester assis n’est pas rester neutre. Rester assis, c’est refuser de s’associer à un boycott massif qui visait précisément à dénoncer la politique d’Israël à Gaza. C’est, de facto, envoyer un signal de distanciation vis-à-vis de la solidarité internationale avec la Palestine. Nous pourrons toujours dire que ce n’est pas un rétablissement de relations diplomatiques. C’est vrai : aucune ambassade n’a rouvert, aucun communiqué officiel n’a été publié. Mais la diplomatie n’est pas faite que de traités et de communiqués ; elle est aussi faite de gestes symboliques. Et celui-ci en est un.
Ce choix hautement stratégique pourrait s’expliquer par trois hypothèses. D’abord, par un pragmatisme sécuritaire. Dans un Sahel ravagé par le terrorisme, notre pays pourrait lorgner sur l’expertise israélienne en matière de renseignement et de technologies militaires. Des coopérations discrètes existent déjà ailleurs en Afrique. Peut-être que le Mali ne veut-il pas se fermer cette porte ?
Ensuite, par le jeu d’équilibre diplomatique. Entre Russie, Chine, Turquie, Iran, monde arabe et Occident, le Mali pourrait tenter de multiplier ses partenaires. Ne pas suivre la foule, c’est garder toutes les cartes en main. Enfin, par la posture de souveraineté diplomatique. Depuis 2021, les autorités de la transition répètent : « le Mali décide seul ». Ne pas se lever, ce serait refuser de se laisser dicter une attitude par d’autres, fût-ce au nom de la Palestine.
Ces explications ont leur logique. Mais posons la question qui fâche : au nom de ce calcul froid, le Mali est-il prêt à sacrifier une fidélité historique, un engagement de principe envers la Palestine, à lâcher en plein vol l’autorité palestinienne au moment où tout le monde prend position en faveur d’un État palestinien ?
Car les risques sont là. À l’intérieur, dans un pays où la cause palestinienne touche profondément l’opinion, ce silence peut être ressenti comme un lâchage en plein vol. Dans le monde arabe, il peut être perçu comme un désaveu inquiétant, au moment où la solidarité est la plus nécessaire. À l’extérieur, certains partenaires occidentaux pourront saluer un Mali « pragmatique », « réaliste ». Mais à quel prix ? À celui de brouiller une ligne de principe qui faisait partie de notre identité diplomatique ?
Toutefois, soyons clairs : rester assis ne vaut pas normalisation avec Israël. Le Mali n’a pas rétabli ses relations avec Israël. Mais il a choisi un geste qui interroge et qui inquiète. Ce silence ressemble à un ballon d’essai diplomatique. Et aujourd’hui, beaucoup interprètent déjà ce choix comme un lâchage en plein vol de l’Autorité palestinienne.
Dans une diplomatie, les symboles comptent autant que les actes. Le Mali doit donc clarifier : est-il encore fidèle à la cause palestinienne ? Ou bien a-t-il décidé, en silence, de tourner la page ? Rester assis pouvait se vouloir un geste de souveraineté. Mais sans explication, il devient un symbole de désengagement. Et ce désengagement, pour un pays qui s’est toujours voulu la voix des peuples opprimés, résonne comme une dissonance. Notre pays doit trancher. Car en diplomatie comme en politique, le flou n’est jamais neutre : il profite toujours aux plus forts.

EL HADJ SAMBI TOURÉ

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