Un nouvel enregistrement sonore, attribué à Mahmoud Barry alias Abou Yahya, a circulé le 28 septembre 2025. Durant 4 minutes et 31 secondes, ce chef terroriste exhorte les communautés bozo du fleuve Niger, à respecter des « prescriptions vestimentaires » inspirées d’une lecture rigoriste du Coran, et interdit purement et simplement la musique dans leurs villages riverains, de Baffing à Badjé (Badjé, Konan, Diafarabé, Macina, Mopti …). Après l’incendie des camions citernes, ce nouvel épisode illustre à la fois la fuite en avant des groupes armés terroristes et leur volonté de briser les fondements culturels de notre société.
Longtemps, les communautés bozo ont été relativement épargnées par les assauts idéologiques directs des groupes armés terroristes. Aujourd’hui, elles se retrouvent dans la ligne de mire. Les pêcheurs, gardiens d’une culture fluviale vivante, deviennent ainsi les cibles d’injonctions absurdes : s’habiller selon une norme imposée de l’extérieur et renoncer à la musique, pratique pourtant inséparable de leur identité.
Cette tentative de mise au pas n’est pas anodine. Les terroristes cherchent à étendre leur emprise au cœur même des communautés fluviales, après avoir terrorisé les éleveurs peulhs, les cultivateurs dogons et les commerçants bambara et arabes.
Cet enregistrement sonne comme une preuve de faiblesse et d’un désespoir stratégique. Incapables de faire plier les FAMa et confrontés à la résilience des populations, les terroristes tentent de contrôler la société par le détail : la tenue vestimentaire, la musique, les gestes du quotidien.
Mais à trop vouloir réglementer la vie intime des communautés, ces groupes montrent leur vrai visage. Celui d’une idéologie stérile, qui ne propose aucun avenir, aucune prospérité, aucune dignité.
La musique bozo, au carrefour des traditions mandingues et fluviales, est un patrimoine immatériel précieux. En voulant la faire taire, Abou Yahya ne s’en prend pas seulement aux pêcheurs : en cette année décrété année de la culture par les autorités de la transition, il attaque l’âme du Mali, son héritage, son pluralisme.
Cette guerre contre les instruments, les chants et les fêtes n’est pas nouvelle. Elle a déjà frappé Tombouctou, Gao, Kidal, où les jihadistes avaient incendié guitares et radios au moment de l’occupation. Mais elle prend une dimension encore plus insupportable lorsqu’elle cible des villages paisibles dont la musique rythme les naissances, les mariages et les rituels du fleuve.
Face à cette dérive, la réponse ne peut pas être seulement militaire. Elle doit être politique, parce que les autorités doivent réaffirmer haut et fort que la diversité culturelle est une richesse nationale, non négociable. Culturelle, parce que les Bozos et toutes les communautés doivent être soutenus dans la préservation de leurs traditions, par des festivals, des programmes éducatifs, des protections symboliques. Sur le plan sécuritaire, chaque village menacé doit savoir que l’État est là, pour le défendre contre ceux qui veulent l’asservir.
Abdoulaye OUATTARA