Depuis le 19 août 2025, le Mali vit un épisode à la fois tragique et révélateur de l’état de sa transition politique : l’ancien Premier ministre Choguel Kokalla Maïga, figure intellectuelle, politique et panafricaniste reconnue, a été placé sous mandat de dépôt et transféré à Koulikoro. L’accusation est lourde : détournement de deniers publics, blanchiment, faux et usage de faux. Mais pour une large partie de l’opinion nationale et africaine, il ne s’agit que d’une procédure politique sous habillage judiciaire, destinée à réduire au silence un homme qui a osé dire la vérité à ses ex-alliés.

L’«Affaire Choguel » n’est pas un simple épisode judiciaire. Elle est un miroir grossissant des dérives d’un régime de transition qui, au nom d’une légitimité militaire et d’un patriotisme de façade sous le prétexte de la guerre contre le terrorisme, a choisi d’étouffer les voix discordantes, même celles qui l’avaient loyalement accompagné. Elle pose la question centrale : le Mali peut-il se reconstruire en piétinant ses propres consciences ?
Choguel Kokalla Maïga a toujours incarné une rare rigueur intellectuelle et une probité personnelle dans un univers politique miné par la corruption et les compromissions. Ancien ministre sous plusieurs régimes, président du Mouvement Patriotique pour le Renouveau (MPR, dissout comme tous les partis politiques au Mali), il s’est imposé comme une figure du panafricanisme malien, dénonçant la dépendance vis-à-vis des puissances étrangères et appelant à la souveraineté véritable.
Nommé Premier ministre de la transition en 2021, il s’est montré loyal et combatif, défendant sans relâche le Mali contre les sanctions de la CEDEAO, contre la stigmatisation internationale, et posant les jalons d’une réforme institutionnelle ambitieuse. Ses discours, clairs et lucides, posaient un diagnostic courageux : sans souveraineté, sans refondation politique, le Mali restera prisonnier du cycle de crises.
Mais son franc-parler, sa fidélité au “pacte d’honneur” du 24 mai 2021 conclu avec les militaires, et sa volonté de ne pas être un simple « Premier ministre décoratif » ont fini par devenir un fardeau pour ceux qu’il avait servis. Choguel ne jouait pas le rôle de “clown de service”, il assumait la fonction de vigie démocratique. C’est ce qui lui vaut aujourd’hui la prison.
Avait-on besoin de détenir en garde à vue une semaine durant un ancien Premier ministre dans les locaux d’une Brigade d’investigation comme un vulgaire criminel ? Mais chacun savait que depuis le 12 août la messe était dite. Le 19 août 2025, Choguel est mis sous mandat de dépôt d’abord sur les réseaux avant de regagner brièvement la Maison centrale d’arrêt de Bamako, puis transféré le lendemain à Koulikoro. Les charges : détournement de deniers publics, blanchiment, faux et usage de faux sur la base d’un rapport très orienté du BVG dit-on. Les avocats dénoncent une procédure expéditive et politisée.
Le sentiment dominant dans l’opinion est celui d’un lâchage en plein vol : après avoir servi loyalement, protégé le pouvoir, défendu la transition sur la scène internationale, Choguel est abandonné, humilié, livré à une justice comme un dessert. Comme souvent dans l’histoire politique africaine, la sincérité est punie, la loyauté est suspecte.
Choguel était perçu comme la voix la plus proche du petit peuple, capable d’exprimer ses colères et ses espoirs. Son emprisonnement laisse un vide : une transition sans boussole, sans discours clair, sans figure capable de rallier les citoyens.
La morale de l’Affaire montre que les alliances scellées dans l’urgence (ici entre militaires et civils en mai 2021) sont fragiles. Dès que les intérêts divergent, la logique de force l’emporte sur la loyauté. Or, dans un État de droit véritable, aucun leader politique ne devrait être exposé à une arrestation arbitraire. L’absence d’institutions solides permet toutes les dérives.
De Modibo Keïta à IBK, en passant par ATT, l’histoire malienne est jalonnée de trahisons, de renversements, d’emprisonnements arbitraires. L’affaire Choguel rappelle que le Mali n’a toujours pas rompu avec ce cycle d’exclusion violente. En neutralisant Choguel, le régime se prive d’un allié stratégique : un homme capable de défendre la souveraineté malienne sur la scène africaine et internationale.
Une hirondelle ne fait pas le printemps. Mais, sans Choguel, la transition apparaît affaiblie et illisible. Les militaires se retrouvent seuls à défendre à la fois le pouvoir et la sécurité, sans relais politique crédible. En cela, l’«Affaire Choguel » n’est pas seulement l’histoire d’un homme injustement accusé. Elle est le symbole d’un Mali à la croisée des chemins : entre une transition qui étouffe les voix libres et une aspiration profonde du peuple à un Mali digne, souverain, mais aussi démocratique.
En emprisonnant Choguel Kokalla Maïga, le régime croit neutraliser un opposant. En réalité, il a libéré un symbole. Un mois après son incarcération, son absence se fait plus éloquente que sa présence. Ses discours résonnent encore ; ses partisans le citent comme une boussole ; son image grandit à mesure que la transition se retrouve confrontée à des défis.
Le Mali a besoin de ses consciences, pas de leurs prisons. Choguel Kokalla Maïga en est l’incarnation. Son sort dira si le Mali veut se bâtir dans la dignité et la vérité ou s’enliser dans les trahisons et les exclusions.
Barak’Allaye Fikoum

El Hadj Sambi Touré

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