Consacrer la multi confessionnalité de l’Etat du Mali dans la nouvelle constitution tel que défendue par la Ligue malienne des imams et érudits pour la solidarité islamique au Mali (LIMAMA) va ouvrir une boite à pandore dont les conséquences à moyen et long terme instauraient un nouvel ordre de gouvernance basé sur l’islam, la religion dominante de notre pays. De même, elles ouvriraient la porte à la création de formations politiques à caractère religieux, à l’image de l’Égypte, du Liban, de la Turquie ou encore de la Tunisie, entre autres dans lesquels le caractère multiconfessionnel de la gestion de l’Etat a montré ses limites.

La constitutionnalisation du caractère multiconfessionnel de l’Etat du Mali est le principal grief de la Ligue des imams du pays contre la nouvelle Loi Fondamentale qui maintient la laïcité comme l’un des principes de gouvernance de notre pays en vue de conserver l’harmonie dans la gestion de l’État depuis 1960.
Frustrés de ne pas avoir été suivi par la commission de la finalisation de la nouvelle constitution remis au président Assimi GOITA, le mardi 27 février 2023, ces religieux lors d’un point de presse en date du 7 mars, ont appelé leurs fidèles à voter ‘’Non’’ au référendum reporté le vendredi 10 mars par le gouvernement à une date qui sera fixée par l’Autorité indépendante de la gestion des élections (AIGE).
Leur opposition vient grossir le rang de la contestation entretenue par des partis politiques opposés à la rédaction d’une Loi Fondamentale malgré la divergence de leur objectif.
Parce que le fait d’institutionnaliser le confessionnel va sceller de fait le sort des partis politiques déjà honnis par des leaders religieux.
Le multiconfessionnel, la boîte de pandore ?
En effet, ce système politique réclamé par des responsables de l’islam de notre pays fait appel à une autre mode de gestion de l’État par la consécration et l’imposition de l’épreuve de force en faveur de cette religion dont les fidèles représentent 95% de la population.
Ce poids démographique doit être pris en compte dans la formation des membres du gouvernement, de l’élection des élus, mais aussi de la désignation des membres des Institutions de la République. On aura dans les différents secteurs une composition qui reflétera l’équilibre de force des religions. Conséquence : difficile pour l’État d’être équidistant des différentes confessions comme dans une République laïque.
A moyen terme, la constitutionnalisation du confessionnal va déverrouiller la création de formations politiques à caractère religieux jusque-là interdites dans notre pays, à l’image de la Confrérie des Frères musulmans en Égypte, du parti islamique en ou encore du mouvement politique Ennahdha en Tunisie. Un libéralisme de l’arène politique qui va contraindre l’État a accepté notamment la transformation du mouvement du terroriste Iyad Ag GALY en formation politique. Une menace contre la République laïque contre laquelle il mobilise toute son énergie, terrorise la population, tue des civils et militaires opposés à son projet de l’application de la Charia sur notre territoire.
Alors, le pouvoir cesse d’être un point de convergence entre les religions, il sera imparablement l’objet de lutte en vue de sa possession entre les différentes confessions avec toutes ses corollaires d’attiser souvent les virulentes oppositions entre les courants religieux.
Si l’approche de Ansarddine de Iyad est certes considérée barbare par des religieux dont des responsables de la LIMAMA, cependant ils partagent sa conviction de l’application de la charia, même si, jusque-là le ton se murmure entre les quatre murs de leurs mosquées.
Ainsi à long terme, l’institutionnalisation du confessionnel exigé par les Mollahs de la LIMAMA pourrait aboutir à la naissance d’une République islamique ou de l’État islamique. Leurs différents prêches peinent à cacher cette intention.
Par ailleurs, des responsables de la LIMAMA qui s’en prennent à la Laïcité au motif que le mode de gouvernance est importé est une confusion terrible et un faux débat entretenu par ceux-ci pour soutenir leur projet de société pour notre pays.
La création d’un ministère chargé des affaires religieuses et du culte sort la laïcité sous le couvert d’un choix importé.
Le multiconfessionnel en disgrâce
Outre cet aspect, cette approche des leaders religieux reste en déphasage avec l’évolution du monde où l’approche du multi confessionnalisme de l’Etat est un sujet qui fait polémique depuis l’événement des « printemps arabes » en 2011 et la crise libanaise. Dans le monde arabe où ce principe de gestion est appliqué, il a montré ses limites à maintenir l’harmonie et la cohésion entre les différentes confessions et communautés au plan national. A ce jour, il constitue l’un des facteurs importants de dysfonctionnement des institutions constitutionnelles libanaises qui sont les prototypes du multiconfessionnel.
Pour le cas de la Tunisie, les changements politiques intervenus sur la scène politique entre 2011 et 2014 ont cependant obligé les dirigeants à se concentrer sur la politique institutionnelle. Cela a abouti à la séparation entre les militants purement « islamistes » et les « politiciens de profession.
Dans cette veine, lors de la cérémonie d’ouverture du Xe Congrès d’Ennahdha, Rached Ghannouchi annonce officiellement la séparation entre les compétences de la sphère politique et le champ d’action des activités religieuses.
Au lendemain du Congrès, il déclare au journal Foreign Affairs : « L’organisation que j’ai cofondée dans les années 1980 n’est plus à la fois un parti politique et un mouvement social. Elle a mis fin à toutes ses activités culturelles et religieuses et se concentre maintenant uniquement sur la politique.»
La Turquie, berceau de l’empire ottoman qui a régné durant des siècles sur une partie de l’Europe et de l’Asie, a aussi renoncé au multi-confessionnalisme parce qu’il n’encourage pas assez le progrès technique et le développement de la technologie.
Le déclin de ce système de gestion en Turquie, qui le caractérisait d’ailleurs, a été l’une des réformes majeures initiée par Mustafa Kemal Atatürk.
Ainsi, c’est en rupture avec l’héritage théocratique ottoman que Mustafa Kemal a instauré en 1923 une République reposant sur une légitimité tout autre que religieuse. La jeune République est marquée par de nombreuses réformes prenant pour cible le religieux, et qui se distinguent par leur ampleur et leur rapidité.
A cet effet, le gouvernement d’Ankara abolit le sultanat en 1922. Cette mesure équivalait à la fin de la légitimation religieuse de l’ordre politique, ainsi qu’à la distinction des attributions spirituelles du chef religieux de l’islam des pouvoirs temporels : le calife n’avait plus, dès lors, que des attributions spirituelles.
La proclamation de la République de Turquie, le 29 octobre 1923, consomme la rupture : il s’agit de la première expérience de régime républicain dans le monde musulman. Dans la nouvelle constitution, adoptée le 20 avril 1924, le groupe religieux de l’Assemblée parvient à introduire un article (article 2) stipulant que « la religion de l’État turc est l’islam ». En 1928, cet article est amendé, et la référence à l’islam supprimée.

PAR SIKOU BAH

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