Cheick Sidi DIARRA, président du mouvement Anw Be Faso Do a apporté sa contribution à l’amélioration de l’avant-projet de texte de la constitution, à travers une note dans laquelle, il fait part ses observations. L’ancien diplomate malien relève si le présent texte devait être adopté tel quel, nous aurions une IVe République outrageusement présidentielle, le Président de la République (PR) s’arrogeant presque tous les pouvoirs sans contre-pouvoirs réels. A côté du Président de la République, toutes les autres institutions seraient naines. De même, il pense que le texte de l’avant-projet de Constitution érige les Forces armées en une institution de la catégorie des institutions de l’Exécutif. Elles sont inscrites au Chapitre V du Titre III consacré au Pouvoir Exécutif.
Le 16 juillet dernier, Nous réagissions, sur la page Anw Bè Faso Do, à la publication du Décret n° 2022-0342/PT-RM créant la Commission nationale chargée de l’élaboration d’une nouvelle Constitution.
Depuis cette date, et malgré nos réserves par rapport à l’initiative, plusieurs actes ont été posés dans le sens de sa matérialisation. Les membres de la commission ont donc soumis à l’appréciation de l’initiateur du processus un « avant-projet de constitution » qui a, depuis, été versé dans le champ public.
Dès lors, nous nous sentons interpellés en tant que citoyens de participer au débat de fond sur la question, cela, malgré nos réserves.
L’élaboration d’une Constitution est l’acte juridique majeur par excellence qu’un État puisse poser. Elle façonnera des institutions qui vont régir la vie de la Nation pour des décennies. Nous ne pouvions donc pas bouder cette responsabilité qui est la nôtre d’y prendre la part.
Nous allons d’abord saluer les auteurs du texte pour le travail accompli et pour leur courage par rapport aux choix qu’ils ont effectués sur les thèmes traités.
Nos observations s’articulent autour d’un certain nombre de questions liées à la forme et d’autres questions relevant du fond.
I- Les questions de forme :
A- Le Préambule :
Le préambule est libellé dans le format d’une RESOLUTION alignant une liste de circonstances contextuelles suivies de RECOMMANDATIONS.
Cette formule mérite de figurer dans la Note contextuelle expliquant l’esprit du texte de la Constitution. Elle ne mérite pas de figurer dans le texte de la Constitution, car elle réduit le caractère EXECUTOIRE des dispositions d’une constitution.
Cela n’enlève en rien la valeur du texte contextuel parce que l’interprétation de la Constitution se fait en associant le texte de la constitution et l’esprit (c’est-à-dire le contexte et les circonstances) qui a conduit à son élaboration.
En lieu et place d’une telle approche, nous souhaitons que le Préambule soit consacré aux principes et fondements qui sous-tendent la nouvelle constitution. Ce sont essentiellement les valeurs sociétales sur lesquelles on veut fonder la nouvelle constitution :
B- Une multitude de dispositions relevant des domaines législatif et règlementaire doivent être prises en charge ailleurs que dans l’avant-projet de constitution.
Il en est ainsi de l’article 30 qui consacre Bamako comme capitale du Mali tout en renvoyant à l’adoption d’une loi le changement de capitale. Là il y a d’abord un problème de parallélisme de forme, c’est-à-dire que si la constitution désigne Bamako comme capitale, c’est la même constitution, et non pas une loi qui doit procéder au transfert de la capitale dans une autre ville. Le deuxième problème est que le choix de la capitale relève de l’organisation du territoire, donc du domaine de la loi.
L’article 34 relatif à la responsabilité des autorités quant à la sauvegarde de « l’intérêt général » relève du droit administratif, pas de la constitution ;
Article 35, les sanctions encourues du fait du détournement des ressources relèvent du droit pénal donc de la loi :
Les articles 82 à 86 consacrés au rôle de l’Administration ne méritent pas de figurer dans un projet de constitution, car l’Administration n’est pas une institution souveraine. C’est un outil au service de l’Exécutif pour l’appuyer dans l’exécution de ses missions de service public. Cela relève du droit administratif, pas du droit constitutionnel ;
L’article 87 (nouveau) est consacré aux autorités administratives autonomes qui ont un statut assimilable aux institutions. Cet article renvoie à la loi pour leur création. Nous estimons qu’elles ne méritent pas d’être listées dans la constitution :
Les articles 88 à 92 consacrés aux forces armées et de sécurité n’ont pas leur place dans un texte de constitution. L’organisation des forces armées et de sécurité est du domaine de la loi : L’article 110 relatif aux sanctions contre le député ou le conseiller pour non-participation aux travaux relève du Règlement intérieur de ces institutions, pas du texte de la constitution : L’article 132 qui stipule que la justice est rendue au nom du peuple n’a pas sa place dans le dispositif. Il mérite de figurer dans le Titre « principes et fondements » devant remplacer le préambule actuel ;
L’article 135 relatif aux manquements du magistrat à ses devoirs est du domaine administratif et pénal. Il relève donc la loi ;
Les articles 152 à 158 consacrés aux attributions de la cour constitutionnelle et à son fonctionnement doivent être transférés dans la loi organique prévue à cet effet ;
De même, les articles 163 à 167 sur les attributions de la cour des comptes doivent être transférés dans la loi organique prévue par l’article 169 ;
Les articles 171 à 173 relatifs aux attributions du Conseil Économique Social Culturel et Environnemental (CESCE) relèvent de la loi organique, de même que les articles 175 à 178 sur l’organisation et le fonctionnement du CESCE ;
Les articles 181 à 184 relèvent de l’organisation du territoire, donc du domaine de la loi ; L’article 185 définit le rôle des légitimités traditionnelles. Elles ont une importance telle qu’elles devraient figurer dans la catégorie des Autorités Indépendantes faisant l’objet d’une loi organique. Toutefois, elles ne doivent pas figurer dans un texte de constitution.
C- Quelques concepts de droit à revoir :
Notre attention a été particulièrement retenue par la répétition de l’expression « suffrage universel direct ou indirect ». A notre sens, un suffrage ne peut être universel que s’il est direct. Dès l’instant que vous avez un suffrage indirect, cela voudra dire que c’est un groupe plus restreint d’élus qui votent. Par exemple, l’élection d’un maire par le conseil municipal ne se fait pas au suffrage universel parce que c’est un groupe de grands électeurs qui le choisissent.
L’ordre des articles 1er et 2e a été interverti. Pourquoi ? Il vaut mieux maintenir l’ordre actuel dans la Constitution de 1992, car la personne humaine est au centre de tous les droits et devoirs énumérés. L’existence de ces droits et obligations suppose d’abord que la vie humaine soit préservée. C’est là un droit fondamental.
II OBSERVATIONS DE FOND
A- Une IVe République Présidentialiste à outrance :
Si le présent texte devait être adopté tel quel, nous aurions une IVe République outrageusement présidentielle, le Président de la République (PR) s’arrogeant presque tous les pouvoirs sans contre-pouvoirs réels. A côté du Président de la République, toutes les autres institutions seraient naines.
Voici pourquoi :
Le PR détermine la politique de la Nation (article 44). Ce rôle est dévolu au Premier Ministre (PM) dans la Constitution actuelle ;
Le PR nomme le PM et met fin à ses fonctions sans attendre la lettre de démission du PM (article 57) ;
Le PR nomme les ministres après avoir « consulté » le PM (article 57). Le choix des membres ne se fera plus sur « proposition du PM ». Le PR met fin aux fonctions des ministres individuellement. 11 n’est plus question de démission du gouvernement. Le sort du PM ne sera pas lié à celui de ses ministres. L’esprit de solidarité et de collégialité gouvernementales en prend un coup ;
Le gouvernement ne sera plus consulté par le PR pour initier un Référendum (article 60). Il exerce désormais ce pouvoir concurremment avec les Présidents des deux chambres du Parlement ;
Le PR fait un discours annuel sur l’état de la Nation devant les deux chambres réunies en Congrès. Le Plan d’action que le PM présentera au Parlement suite au discours du PR sera soumis à débat, mais pas au vote. Il n’y a plus de Déclaration de politique du gouvernement. Celui-ci ne sera plus responsable devant le Parlement, mais plutôt devant le PR exclusivement ;
Le PR demeurera le Président du Conseil supérieur de la magistrature (article 64) ;
Le PR est le chef suprême des armées. Il ne mettra plus les forces armées et de Sécurité à la « disposition du PM » pour l’exécution des lois et des règlements et pour la conduite de la politique nationale ;
Le PR est le chef de l’Administration. Il nomme aux emplois supérieurs, civils et militaires ;
Le PR nomme les juges de la Cour suprême, les juges à la cour des comptes. Il formalise la nomination des Conseillers de la cour constitutionnelle ;
Le PR a l’initiative de la loi ;
Il prend les décrets, seul ou en Co signature ;
Il promulgue les lois, les résultats des référendums ;
Il négocie et ratifie les traités internationaux soumis à ratification ;
Le PR nomme les ambassadeurs, reçoit les lettres de créance des ambassadeurs étrangers accrédités au Mali ;
Il nomme les gouverneurs etc.
En contrepartie, une procédure de destitution pour « haute trahison » est prévue, mais dont la mise en œuvre sera confiée à une commission parlementaire qui peut classer le dossier sans suite, sans en référer au Parlement.
B- Un Premier Ministre inexistant
Le Premier Ministre se contente de conduire la politique nationale définie par le PR.
Il est chargé d’exécuter les lois et règlements, mais ne dispose pas des forces armées et de sécurité pour le faire.
Il dispose de l’administration.
Il ne présente plus de Déclaration de politique générale, mais plutôt un Plan d’action inspiré de l’état de la Nation.
Il n’exerce plus aucune autorité sur ses ministres, puisque leur sort n’est pas lié au sien. Les ministres feront allégeance au PR désormais. La coordination gouvernementale sera difficile à exécuter.
C- Une IVe République des Forces armées et de Sécurité :
Le texte de l’avant-projet de Constitution érige les Forces armées en une institution de la catégorie des institutions de l’Exécutif. Elles sont inscrites au Chapitre V du Titre III consacré au Pouvoir Exécutif.
Or, « Les Forces armées et de sécurité sont au service de la Nation. Elles sont républicaines, apolitiques et soumises à l’autorité politique. » (Article 89).
En clair, nous estimons que le fait que les forces armées et de sécurité soient aujourd’hui en charge des destinées du pays, cela est le résultat d’une voie de fait. Cette charge est par nature transitoire. Cela n’en fait pas une institution. Les forces armées sont un outil au service de la Nation pour mettre en œuvre la politique de défense et de sécurité définie par le Président de la République avec le soutien du Conseil de Défense (article 63) ;
D- Une IVe République de l’Administration Publique :
Tout comme les forces armées et de Défense, l’Administration Publique a également été érigée en une institution de la République au tire du pouvoir exécutif (chapitre III, TITRE III).
Les articles 82 à 86 consacrés au rôle de l’Administration ne méritent pas de figurer dans un projet de constitution, car l’Administration n’est pas une institution souveraine. C’est un outil au service de l’Exécutif pour l’appuyer dans l’exécution de ses missions de service public. Cela relève de la loi et du droit administratif, pas du droit constitutionnel ;
E- Un parlement aux pouvoirs réduits
Les deux chambres du parlement détiennent encore l’initiative des propositions de loi et du vote des projets de loi, de celui du budget. Elles détiennent toujours le pouvoir des interpellations écrites ou orales. Cependant, elles ont peu de prise sur l’exécutif, le gouvernement n’étant plus responsable devant elles. Le seul pouvoir dont elles disposent c’est la destitution du PR pour Haute trahison. Mais les conditions de sa mise en œuvre sont presque impossibles à réaliser.
Le texte n’édicte pas la dissolution des chambres non plus. C’est peut-être là la seule source d’équilibre.
F- Les institutions judiciaires peu autonomes :
Les institutions gardent l’intégralité de leurs prérogatives, toutefois elles seront moins indépendantes pour deux raisons :
– Le pouvoir de nomination des juges et conseillers relève de l’autorité du
– Le Conseil supérieur de la magistrature qui gère la carrière des juges est présidé par le PR qui a une voix prépondérante.
Pour une émancipation des juges, il y a lieu de couper le cordon ombilical avec le PR. Il faudra faire présider le Conseil supérieur par un magistrat.
En même temps, le recours permis au contribuable contre le magistrat pour violation des libertés publiques est un moyen de contrôle pour assurer une saine et diligente distribution de la justice et les sanctions prévues en cas de retard dans le traitement des dossiers des justiciables, en particulier, des prévenus, est la cerise sur le gâteau.
A SUIVRE