Lors de la cérémonie de clôture de la 10e édition du Festival international de la liberté d’expression et de la presse (FILEP) organisée à Ouagadougou, le vendredi 20 octobre 2023, sur la liberté d’expression et de pression, il y a eu, pour ne pas dire passe d’armes, la manifestation de convictions fortes de part et d’autre.

Pour le président du comité d’organisation du FILEP 2023, Inoussa Ouédraogo, «face à la volonté de certains dirigeants de contrôler l’information, de museler la presse, d’instaurer la pensée unique, les journalistes africains que nous sommes n’avons d’autres choix que de nous battre, de résister (…). Comme ledit si bien le professeur Joseph Ki Zerbo, ‘’naa laara, an sara’’, (si nous nous couchons, nous sommes morts). Tandis que pour le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement burkinabé, Jean Emmanuel Ouédraogo «il n’y a pas de liberté dans un pays qui n’est pas libre… « Il est illusoire de penser à une liberté qui puisse surnager dans un pays qui n’est pas libre. Il est illusoire de penser qu’on peut avoir une sorte de journalisme hors-sol qui peut survivre ou qui peut continuer à s’exercer de façon normale dans les conditions d’un pays qui est en guerre. La première menace au Burkina contre les libertés d’expression et de presse, c’est le terrorisme, c’est la principale menace ».

Devrait-il s’agir de liberté de presse, de liberté pour les médias d’informer et d’enquêter pour informer ou de liberté pour tous, synonyme de liberté d’exister en tant qu’être humain, de vivre suivant ses convictions philosophiques, religieuses, politiques ? La réponse n’est en même temps pas simple qu’elle est trop simpliste.

Qui est le plus dangereux entre un citoyen engagé aux côtés de la Transition qui se filme avec une machette en main dans un rond-point de la capitale, et qui menace de s’en prendre à tous ceux qui ont une opinion contraire à la sienne et un journaliste sur un plateau télé ou qui fait son show ‘‘en direct’’ sur Facebook en débitant des légèretés ou quelques grossièretés ? Lequel doit-on cravater au nom de ‘‘ ta liberté s’arrête là où commence celle des autres’’, au nom de l’ordre public et de la tranquillité et de la sûreté de tous ? De l’autre côté de la frontière l’un est célébré en héro tandis qu’ici l’autre est mis au N’gouff. Pourtant nous vivons le même contexte bizarrement trop attaché encore à la liberté d’expression (parce que c’est la démocratie, on doit pouvoir dire ce qu’on veut) et la liberté de presse parce que la presse est synonyme de 4e pouvoir) ? Parce que dans la démocratie c’est le pouvoir qui arrête le pouvoir, donc avec 100 FCFA de forfait internet, on doit pouvoir dire ce qu’on veut sur les institutions et sur les hommes qui se sacrifient au front pour la survie de la nation ?

Alors qu’en France qui nous sert de modèle, il n’y a même pas de liberté de religion ou de liberté de porter des habits de son choix, à plus forte raison de liberté de conscience et d’opinion ? Aujourd’hui l’Etat macronien régente tout, dans le silence et dans l’indifférence de notre contexte sahélien. Les femmes sont interdites désormais de porter des Abayas, on ne peut plus prier sur la voie publique, on ne peut plus manifester son soutien aux palestiniens… Pourtant la liberté au bord de la Seine ne se sent pas si mal vu d’ici. Karim Benzema, footballeur mondialement connu ne vous dira pas le contraire puisque la France veut lui retirer sa nationalité parce qu’il a exprimé un soutien différent de celui attendu de lui par l’Etat français, suite au bombardement de Gaza. Sous ces auspices, l’Etat burkinabé par extension celui du Mali a-t-il raison d’être inflexible et intraitable sur les lignes rouges qu’il a fixées ?
Le propre du Sahélien est de vouloir entrer au paradis sans mourir. On veut sortir de cette guerre mais on ne veut pas changer nos habitudes. Chacun défend plutôt sa petite chose, au lieu de la grosse chose qu’est le pays.
Hier, les Occidentaux qui criaient à la liberté sur tous les toits ont bloqué les chaînes russes et les réseaux sociaux comme Rumble parce qu’ils étaient en guerre par solidarité avec l’Ukraine contre la Russie.
Quand un pays est en guerre, il ne se comporte pas comme en temps de paix, comme le veulent et le pensent certains de nos concitoyens.
La semaine dernière, le gouvernement israélien a approuvé des réglementations qui lui permettront de fermer temporairement les chaînes d’informations étrangères pendant l’état d’urgence, (comme la guerre actuelle qu’il dit mener contre le Hamas alors que ce sont les populations civiles palestiniennes qui en sont victimes), s’il estime que le « média nuit à la sécurité nationale ». Dans son viseur : le média qatari AlJazeera est celui qu’il souhaite faire fermer.

A propos de cette même guerre commencée le 7 octobre 2023, les USA, champions de la liberté, ont sorti la semaine dernière pour la 43e fois leur véto contre une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU condamnant les bombardements de la Bande de Gaza par Tsahal avec les conséquences dramatiques que chacun sait. Et la France, patrie des droits de l’homme l’a suivie aveuglement à chaque fois. Ce sont ces nations qui ont voté le droit pour Israël de tuer qui nous servent de modèles et d’inspiration !

Le soutien mal inspiré et humainement indéfendable du gouvernement français à l’entité sioniste et son alignement irréfléchi et opportuniste sur les positions américaines, le distrait de son devoir d’apaiser les tensions sur son territoire et jouer son rôle sur le plan international en œuvrant pour la paix. Depuis le début de la crise, le gouvernement de la France multiplie les bévues, collectionne les bavures et engrange les attaques à la liberté d’expression et de manifestation pacifique en soutien au peuple palestinien. Cette attitude n’est pas à la hauteur de la réputation et de l’honneur de la démocratie française.
La semaine dernière, un homme a été interpellé, placé en garde à vue et jugé pour apologie du terrorisme car un témoin l’aurait entendu prononcer «Allah Akbar», «Wallah, je le fais demain» et «vive la Palestine» près d’un lycée en région parisienne, «avec un couteau à la main».
Il a été déclaré non coupable car aucune arme n’a été retrouvée sur lui (il avait une bouteille d’eau), il a expliqué être hébergé chez la famille près du lycée, qu’il parlait de paris sportifs en disant au téléphone qu’il parierait à nouveau le lendemain, et qu’il avait juste évoqué la Palestine en enregistrant un message vocal… Son avocate avait mis en garde le tribunal que s’il était condamné : « N’importe quel musulman pourrait se trouver devant le tribunal» en France. Parce que tout musulman dit : « Allah Akbar » !

Le jeudi 19 octobre 2023, le ministre français de l’intérieur, Gérald Darmanin, disait sur BFM qu’il souhaiterait que les plateformes comme WhatsApp, Signal, Telegram et iMessage offrent un accès aux conversations aux forces de l’ordre, quand c’est nécessaire. « Si nous étions capables de dire (…) donnez-nous la conversation de cette personne parce qu’elle présente une menace, nous gagnerions énormément de temps », a-t-il déclaré.
Sa déclaration fait suite à l’attentat d’Arras, qui a entraîné la mort du professeur Dominique Bernard. Selon Gérald Darmanin, le terroriste aurait pu être arrêté avant les faits si la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) avait pu avoir accès en temps réel aux conversations de ce dernier. Mais les services de renseignement ont simplement pu tenter de confisquer son smartphone, lequel n’était pas en sa possession au moment de la perquisition. A-t-il totalement tort en matière de prévention de terrorisme ? Pour les partisans de la liberté des communications, il ne fait aucun doute, tandis que ceux qui se battent au quotidien contre le terrorisme verront cette demande sous un angle différent.

Le même jeudi en France, deux syndicalistes ont été arrêtés pour « apologie du terrorisme » à cause d’un tract de soutien à la Palestine. Ces militants de la CGT du Nord ont passé sept heures en garde à vue pour un tract qui disait que «en France et dans le « monde occidental » en général, la propagande médiatique, totalitaire, nous présente scandaleusement les conséquences comme des causes, les occupés comme terroristes, et l’occupant comme victime. Cette propagande indécente vise à empêcher toute expression contradictoire.
Nos valeurs internationalistes de fraternité entre les peuples et de luttes anticolonialistes nous conduisent à ne pas rester neutres et à revendiquer la fin de l’apartheid, le respect par Israël des résolutions de l’ONU, la fin de l’occupation et le droit du peuple palestinien à l’autodétermination.
L’Union Départementale des syndicats CGT du Nord s’incline devant toutes les victimes civiles mais refuse le deux poids deux mesures honteux du régime Macron».
La CGT a dénoncé l’arrestation de ses militantes dans le Nord et la criminalisation de l’action syndicale. Elle a affirmé que « soutenir pacifiquement le droit des palestiniens ne peut pas être aussi grossièrement caricaturé et criminalisé. Ce n’est pas en criminalisant l’expression des voix discordantes de la vision gouvernementale que l’on fera baisser la tension. Aujourd’hui, c’est le gouvernement qui met de l’huile sur le feu en interdisant les manifestations pour la paix et en cherchant à empêcher toute expression de soutien au peuple palestinien ».

S’agissant toujours de manifestation de soutien aux Palestiniens, le même ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, le jeudi 19 octobre 2023, a donné ses hautes instructions par télégramme à toutes les préfètes et tous les préfets : sous prétexte de potentielle haine contre les juifs, aucune manifestation pro-palestinienne ne devait être autorisée, par principe, en raison « du risque avéré d’exhortation des violences ». Une décision adoubée par le chef de la junte française Emmanuel Macron, qui invente quant à lui un « délai de décence » à respecter à la suite des attentats perpétrés par le Hamas contre Israël, le 7 octobre dernier. L’État a été très clair : il ne veut pas voir de drapeaux palestiniens agités sur les places ou colorer les cortèges.
Une position liberticide de l’Exécutif français invalidée par le Conseil d’État, qui a rappelé que chaque manifestation devait être examinée « au cas par cas ».

Or, suivant la consigne fixée par l’exécutif, de nombreuses préfectures ont cherché à interdire les manifestations en soutien aux Palestiniens, ce week-end. Partout en France (69), les arrêtés préfectoraux attaqués portaient donc une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifester , selon les tribunaux administratifs qui ont suspendus les arrêtés et levé l’interdiction préfectorale d’une manifestation pro-palestinienne.
Le tribunal administratif de Paris a estimé que «le respect de la liberté de manifestation et de la liberté d’expression, qui ont le caractère de libertés fondamentales (….) doit être concilié avec l’exigence constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public». Or, «il ne résulte pas de l’instruction, et en particulier de la note des services spécialisés établie en vue de la présente manifestation, que le rassemblement projeté présenterait un risque particulier de violences, à l’encontre d’autres groupes ou des forces de l’ordre ». Aussi, «les arrêtés préfectoraux attaqués portent donc une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifester», conclut le tribunal, en ordonnant leur suspension. Les manifestations pro-palestiniennes ont eu lieu partout en France.
Pour redorer son blason lézardé par cette crise, le président Macron promet dans un tweet que «dans les plus brefs délais, nous allons affréter un vol spécial avec une aide humanitaire d’urgence pour les Palestiniens. Nous allons ainsi accompagner les efforts qui sont faits par l’Égypte, soutenus par les États-Unis, grâce à l’ouverture de Rafah ».
De tout cœur, nous espérons comme beaucoup d’humanistes sincères que les Palestiniens vont vigoureusement rejeter l’aide française et américaine et les éconduire. ‘’Mogo be Allah ye ka soro i ma i djan’’.
Pour les occidentaux, lorsque les enfants et femmes palestiniens meurent sous les bombes d’Israël ce sont des terroristes, partisans du Hamas. Lorsqu’il s’agit d’aider les rescapés qui ne sont pas morts, ils deviennent des civils palestiniens. S’agit-t-il juste de soulager les survivant en attendant les prochaines bombes qui feront de leurs dépouilles des membres du Hamas ? On ne peut pas voter contre l’arrêt des bombardements sur Gaza, et proposer de l’aide humanitaire aux palestiniens. C’est plus que de l’hypocrisie et de la perfidie, c’est de l’injure à la dignité palestinienne et à l’humanité révolté par les deux poids deux mesures.
Quand est-ce que nous allons comprendre qu’il n’y a pas de liberté ex-nihilo. Toute liberté comme toute démocratie est intimement liée à un contexte. Ceux qui ont inventé la liberté d’expression et de presse estiment que leur contexte actuel ne rime pas avec l’acceptation des médias russes dont ils ont interdit la diffusion de RT en Europe. Qui sommes-nous pauvres Maliens, pauvres Burkinabè et pauvres nigériens si nous n’interdisons pas RFI et France 24 ?
Notre contexte de guerre contre le terrorisme depuis dix (10) ans doit nous interpeler et nous faire réfléchir. Il n’y a de liberté et de démocratie que s’il y a la vie, que s’il y a le pays, socle sur lequel il peut exister. En attendant une meilleure compréhension de la démocratie et de la liberté, disons simplement qu’une nation n’a pu se construire dans la chienlit et l’impunité. L’histoire récente de notre pays devrait nous mettre en garde contre les conséquences du laisser-aller, du laisser-faire et laisser-dire.

PAR MODIBO KONE

 

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