Le Président de la transition, Assimi GOÏTA, « a juré devant Dieu et le Peuple malien de respecter, non seulement la Charte de la transition qui est contre sa candidature, mais également les dispositions de la Constitution du 25 février 1992 », a affirmé, le samedi dernier, le Pr Fousseini DOUMBIA, membre de la Commission d’élaboration de la Charte de la transition. C’était à la Pyramide du Souvenir, lors d’une conférence débat initiée par l’Association « Alliance pour la démocratie au Mali (Adema-Association) sur le thème : « Les défis de la mise en œuvre de la nouvelle constitution ». La rencontre a été l’occasion de relancer les débats sur une éventuelle candidature du Président de la transition lors de la prochaine élection présidentielle qui doit consacrer le retour de notre pays à l’Ordre constitutionnel.
Après le référendum et le décret de promulgation de la Constitution du 22 juillet 2023 par le Président de la Transition, force est de reconnaître que notre pays est géré par trois textes fondamentaux, à savoir : la Constitution de 92 ; la Charte de la Transition révisée ; et enfin la Constitution du 22 juillet 2023. Pour débattre les enjeux de cette triarchie constitutionnelle dans un contexte de mise en œuvre de la nouvelle Constitution, l’Adema-Association a initié une conférence débats sur le thème : « Les défis de la mise en œuvre de la nouvelle constitution ».
Ainsi, pour éclairer les lanternes sur ces textes fondamentaux en vigueur dans notre pays ; le fonctionnement des institutions de la République et la vie des citoyens que nous sommes, l’ADEMA Association a fait appel au Prof Fousseini DOUMBIA, constitutionnaliste, membre de la Commission d’élaboration de la Charte de la transition ; et Me Cheick Oumar KONARE, auteur du livre «La Nouvelle Constitution du Mali commentée et annotée» ; ainsi que Me Abdourahamane Ben Mamata TOURE.
C’était en présence de Mme Sy Kadiatou SOW, présidente de l’ADEMA Association ; de l’ancien Premier ministre Modibo SIBIBE ; des anciens ministres Amadou KOÏTA, Konimba SIDIBE, Yaya SANGARE, ainsi que plusieurs autres responsables politiques du pays.
Considérée comme la réforme majeure de cette transition, la nouvelle Constitution continue de faire l’objet des débats passionnés au niveau des forces vives du pays, notamment la classe politique.
Malgré son adoption et sa promulgation, les divergences persistent autour de certaines dispositions de cette nouvelle constitution, notamment la forme de l’Etat, les pouvoirs du Président de la République, la possibilité de destitution du Président, les attributions de la Cour Constitutionnelle.
Dans son intervention, Me Cheick Oumar KONARE a axé son propos sur 4 points de problématiques, à savoir : les pouvoirs constitutionnels du Président de la République ; le maintien des pouvoirs de reformation électorale de la Cour constitutionnelle ; la question prioritaire de constitutionnalité ; la cohabitation entre la Charte et la Constitution.
Il ressort de son propos que les pouvoirs du Président de la République sont exorbitants. Car, dit-il, la nouvelle Constitution, contrairement à ce qui avait été préconisé dans l’Avant-Projet, a donné le pouvoir au Président de dissoudre le parlement (Assemblée). De ce fait, l’Assemblée qui ne faisait pas déjà le poids sous la troisième République se trouve désormais écrasée sous la Quatrième.
Ainsi, d’un régime présidentiel on se retrouve dans un régime désormais présidentialiste avec un monarque à la tête de l’Etat, a-t-il critiqué.
«Il va falloir avoir un véritable homme d’Etat, un homme d’une grande maturité pour ne pas abuser des pouvoirs qui lui sont reconnus par les textes », a-t-il souhaité.
Autre point d’inquiétude souligné par le conférencier est relatif au maintien du statu quo sur les pouvoirs de la Cour constitutionnelle en matière électorale qui aujourd’hui, comme avant, est la maîtresse du jeu.
« La Cour a le pouvoir d’inverser les résultats des élections qui lui sont soumis», a-t-il regretté.
Pour Me KONARE, il est difficile de savoir si les autorités actuelles de la transition n’auront pas le droit de se présenter à l’élection présidentielle après l’adoption de la nouvelle constitution.
De son côté, le Pr Fousseini DOUMBIA a rappelé les différentes réformes que notre pays a opérées en matière constitutionnelle de l’indépendance à nos jours.
Il a fait savoir que nous sommes régis par trois textes constitutionnels, à savoir : la constitution de 92 ; la Charte de la transition ; et la Constitution du 22 juillet 2023.
«La Charte de la transition précise qu’elle complète la Constitution de 1992», a-t-il ajouté.
Au passage, il a fait savoir qu’il y a un autre passage de la Charte de la transition qui précise qu’en cas de conflit entre la Charte et la Constitution de 1992, ce sont les dispositions de la Charte qui priment.
Ce qui fait dire à beaucoup d’observateurs que la Charte a une valeur supérieure à la Constitution même si la Cour suprême reconnaît que la Charte est un élément de la Constitution de 1992.
A la question de savoir si avec la promulgation de la Constitution du 22 juillet 2023, celle de 92 est devenue caduque, le conférencier répond que les organes de transition qui nous dirigent exercent les prérogatives suivant la constitution de 92 ; de ce fait, elle est toujours en vigueur.
D’ailleurs, dit-il, dans la nouvelle constitution, aucune disposition ne renvoie à la Charte de la transition et que les dispositions transitoires renvoient à la mise en place des nouvelles institutions.
«De mon point de vue personnel, tous les textes constitutionnels sont en vigueur tant que la transition est en cours. Tant que les organes de la transition continuent d’exister, on considère que la Charte de la transition est toujours en vigueur.», a expliqué le Pr Fousseini DOUMBIA, membre de la commission d’élaboration de la Charte de transition.
Par rapport à la question relative à une éventuelle candidature des autorités de la transition aux prochaines élections, le conférencier tranche nettement.
Selon lui, tant que la Charte de la transition reste en vigueur, cela peut contrarier une éventuelle candidature des autorités de la transitions.
«La Charte de la transition reste très claire, non seulement dans son esprit, mais également dans sa lettre. D’abord, c’est l’article 9 qui le dit, pour ce qui concerne le Président de la transition. ’’Le président de la transition, les membres du gouvernement de transition ne peuvent pas se porter candidat, ni aux élections législatives, ni aux élections présidentielles pour marquer la fin de la transition’’, a rappelé le Pr Fousseini DOUMBIA, qui ajoute que les dispositions de cet article 9 font parties des lignes rouges à ne pas franchir. C’est-à-dire que ces dispositions ne peuvent pas faire l’objet d’une révision de la Charte de la transition.
Selon lui, l’esprit de cet article est d’empêcher toute confiscation du pouvoir par les militaires.
«Ce qui suppose que, même s’ils vont quitter le pouvoir par le biais de la démission, ils ne peuvent, en aucun cas, être candidat ni aux élections législatives, ni aux élections présidentielles pour marquer la fin de la transition», a-t-il insisté.
Par ailleurs, le conférencier rappelle que le Président de la transition prêté serment.
«Il a juré devant Dieu et le Peuple malien de respecter non seulement la Charte de la transition qui est contre sa candidature, mais également les dispositions de la Constitution du 25 février 1992», a-t-il relevé.
D’ailleurs, avec la promulgation de la nouvelle constitution qui s’impose également à lui, le Président, de l’avis du conférencier, doit reprendre son serment.
«Le serment qu’il a prononcé dès le départ concernE et la Charte de la transition qui est contre sa candidature, mais également les dispositions de la Constitution du 25 février 1992. Mais la nouvelle constitution qui s’impose à lui, il faut qu’il reprenne son serment pour être investi dans ces nouvelles fonctions », a-t-il dit, avant d’ajouter que cette analyse ne s’impose qu’à lui.
Insistant sur la question, il a rappelé le protocole additionnel de la CEDEAO qui précise que tout militaire qui renforce le pouvoir par la force ne peut se porter candidat à l’élection de fin de transition.
Notons que cette conférence débat était couplée à l’Assemblée générale de l’ADEMA-Association consacrée à l’élargissement de la base de l’association ; le rajeunissement de l’effectif afin de renforcer le combat de veille citoyenne en défendant les acquis démocratiques menacés aujourd’hui.
Par Abdoulaye OUATTARA